Bilan 1999 et proposition 2000 pour le PNDEC
Variabilité climatique engendrée par la circulation océanique

Thierry Huck

18 octobre 1999

Bilan 1999

Résumé

Les travaux réalisés dans le cadre des objectifs poposés en 1998 pour l'année 1999 ont abouti à une meilleure compréhension de la variabilité interdécennale de la circulation thermohaline dans des modèles idéalisés et à une estimation de la robustesse de ces modes vis-à-vis de la turbulence méso-échelle, des interactions avec l'atmosphère et avec la topographie (Huck et al. 2000). Les résultats fondamentaux restent valides, notamment que la circulation océanique présente des modes de variabilité propres lorsqu'elle est forcée par des flux de chaleur quasi-constants à sa surface, ce qui est le cas à grande échelle (à l'exclusion du cycle saisonnier). Cette variabilité est générée par une instabilité à grande échelle, de type barocline, qui est principalement efficace dans la région de bord ouest et le long de la dérive nord Atlantique. La période des oscillations est déterminée par le temps de propagation d'anomalies de température correspondant à des ondes planétaires baroclines d'est en ouest à travers le bassin.

En outre, des méthodes et codes d'analyse de stabilité linéaire ont été développés et utilisés avec succés pour prédire la structure, la période et le taux de croissance des modes instables dans les configurations idéalisées, dans le cadre des équations quasi-géostrophiques et planétaires géostrophiques, en une, deux et trois dimensions.

Analyse de robustesse des oscillations

Les différentes interactions préoccupantes pour le maintien des oscillations interdécennales étaient principalement avec la turbulence océanique à méso-échelle, qui résulte du même type d'instabilité barocline mais avec des taux de croissance plusieurs fois plus élevés (Gill et al. 1974), avec l'atmosphère, via les flux de chaleur sensible et latente qui dissipent les anomalies de température de surface, et avec la topographie, qui amortirait les modes baroclines par le couple des forces de presssion sur le fond (Greatbatch et al. 1997). L'importance de ces trois interactions a été analysée dans des modèles numériques et quoiqu'elles impliquent toutes un amortisssement des oscillations, aucune prise séparément n'est apparue critique pour la survie des oscillations.

Pour analyser l'influence des tourbillons méso-échelle et s'affranchir d'une paramétrisation du mélange horizontal (qu'ils induisent) qui s'avérait critique à basse résolution, des expériences résolvant marginalement le premier mode barocline ont été réalisées, via une série d'éxpériences numériques dans la même configuration idéalisée pour des résolutions variant progressivement de 320 à 20 km. L'initialisation de chaque expérience avec une interpolation des champs de température à l'équilibre (statistique) pour la résolution immédiatement inférieure a assuré une circulation thermohaline et une stratification quasi-stationnaires tout au long des simulations, permettant de limiter les périodes transitoires souvent énergétique et prônes à des oscillations. Toujours est-il que la variabilité longue période reste fortement énergétique à toutes les résolutions et module largement le niveau d'énergie cinétique turbulente du bassin. La période varie légérement avec la résolution, ce qui n'est pas surprenant vu les changements de la circulation moyenne, mais surtout des pics fréquentiels secondaires apparaissent aux plus hautes résolutions, déteriorant la régularité des oscillations à basse résolution et par conséquent la prédictabilité du système.

Pour estimer l'influence du couplage avec l'atmosphère, un modèle atmosphérique à une couche en équilibre énergétique (EBM) a été développé et couplé aux modèles océaniques planétaires géostrophiques (Huck et al. 1999a) et aux équations primitives du GFDL, MOM3 (Pacanowski et Griffies 1999). Pour un bassin d'extension plus réaliste, une circulation thermohaline d'intensité raisonnable est reproduite avec des coefficients de mélange vertical réduits ( $0.5\times 10^{-4}\ m^2/s$). Pour des coefficients de couplage air-mer variant de 0 à 65 W m-2 K-1, le modèle produit des oscillations décennales. Les mêmes coefficients utilisés dans des conditions de relaxation des températures de surface ne permettraient pas les oscillations : une rétroaction réaliste des anomalies de température océanique grande-échelle sur les températures atmosphériques, qui réduit les différences de température et donc les flux air-mer, ce qui allongent significativement leur durée de vie, est nécessaire pour permettre les oscillations.

Finalement différents profils analytiques de topographies ont été testés, toujours dans des conditions de forçage idéalisées. L'influence d'une bathymétrie variant avec la longitude (dans le sens de propagation supposé des ondes planétaires baroclines) est nettement plus important qu'une bathymétrie variant avec la latitude, et implique un amortissement des oscillations. Néanmoins, cet amortissement reste limité et il suffit de réduire dans des limites réalistes un paramètre tel que la diffusion horizontale de température pour voir les oscillations réapparaître.

En conclusion, la topographie et le couplage avec l'atmosphère représentent des termes dissipateurs pour les oscillations alors que la turbulence méso- échelle (océanique et certainement atmosphérique via le forçage stochastique par les flux de quantité de mouvement, chaleur et eau douce) joue plutôt un rôle excitateur qui tend néanmoins à rendre les oscillations moins régulières. L'idéal pour progresser serait donc un modèle couplé résolvant les tourbillons océaniques ...

Méthodes d'analyse de stabilité linéaire

Plusieurs expériences idéalisées ont permis de clarifier le mécanisme de variabilité, qui ne semble pas s'exprimer exactement de la même manière suivant la configuration et le forçage. Ainsi, en utilisant des flux de chaleur uniformes zonalement et variant linéairement avec la latitude, des ondes sont apparues clairement se propager le long du bord nord du domaine avec une vitesse et une structure verticale qui suggèrent des ondes baroclines de grande longueur d'onde, O(1000 km).

Une analyse de stabilité linéaire dans le formalisme quasigéostrophique montre que les profils verticaux de densité et de vitesses zonales sont instables dans ces régions et que la forte viscosité ou diffusion horizontale de densité déplacent les taux de croissance maximaux vers les nombres d'ondes plus faibles (par rapport à l'échelle habituelle du rayon de déformation). [Pourquoi ces modes s'expriment même à haute résolution lorsque les diffusivités sont fortement réduites reste un mystère à éclaircir.] Ces ondes se propagent vers l'ouest (plutôt grâce au gradient méridien de température que de vorticité planétaire) avec des vitesses de groupe qui semblent expliquer la période des oscillations. En fait, une analyse dimensionnelle de la période suivant ce mécanisme est en parfait accord avec un grand nombre d'expériences numériques décrivant l'espace des paramètres (Huck et al. 2000).

L'analyse locale de stabilité s'avérant insuffisante pour déterminer la structure méridienne des ondes instables, des outils numériques sont en cours de développement pour prendre en compte l'évolution du champ moyen de densité et de vitesse avec la latitude, dans les limites des approximations quasi-géostrophiques mais aussi pour des dynamiques plus adéquates. Finalement, des méthodes d'analyse linéaire de stabilité du système tridimensionnel ont été expérimentées en géométrie idéalisée pour les équations planétaires géostrophiques et donnent des résultats tout-à-fait satisfaisants et en accord avec les expériences numériques directes (Huck et Vallis, en préparation).

Proposition 2000

Résumé

Notre objectif est de documenter des modes de variabilité de l'océan et du système couplé océan-atmosphère-glace sur des périodes interannuelles à interdécennales pour les comparer aux observations et aux modèles les plus réalistes. Notre démarche consiste à chercher des mécanismes conceptuels 'simples' et à les tester dans des configurations de plus en plus réalistes, jusqu'à pouvoir les comparer aux observations (COADS par exemple). Cette approche inverse se justifie par la difficulté de comprendre ou interpréter les modes de variabilité observés ou modélisés par les systèmes couplés réalistes. Connaissant la signature des modes cherchés peut-être est-il plus aisé de déterminer lesquels s'expriment dans les observations ou les simulations.

On s'intéresse dans un premier temps à la signature des modes décennaux de la circulation thermohaline (étudiés extensivement dans des modèles simplifiés) dans des configurations réalistes, à l'aide de simulations numériques océaniques, et d'études de stabilité linéaire. Puis ce seront les interactions tourbillons océaniques - vent qui seront étudiées de manière conceptuelles d'abord (Cessi 1998 ; Gallego et Cessi 1999), et dans des modèles plus ou moins simplifiés, afin de déterminer les différences fondamentales avec la variabilité de type thermohaline. Finalement les interactions avec la glace de mer seront considérées afin d'estimer leur importance dans la variabilité observée, plus précisement on s'attend à trouver des interactions vent-glace de mer importantes en mer du Groenland (Delworth et al. 1997).

Signature du mode thermohalin dans des configurations réalistes

L'étude de la variabilité de la circulation océaniques dans l'Atlantique Nord sera analysée dans des configurations réalistes (océan seulement ou couplé) en fonction du forçage à la surface et des paramètres des modèles. Plusieurs résultats de modèles sont disponibles à ce jour (CERFACS, LODYC, GFDL, Lamont) et seront analysés en collaboration avec les groupes les ayant produits. On s'interesera principalement à l'influence des conditions aux limites à la surface (relaxation, mixtes, flux constants, couplé à un modèle atmosphérique complet ou simplifié) sur la variabilité.

Dans les cas où un état d'équilibre est disponible, les techniques d'analyse de stabilité linéaire développées en 1999 seront utilisées afin de définir les caractéristiques des modes les plus instables (structure, période, taux de croissance) et leur sensibilité à la configuration du modèle et au forçage. Il est à noter que les calculs de type quasi-géostrophique ne sont pas adéquates pour décrire la dynamique dans les régions d'où les oscillations semblent émerger. Par conséquent, des calculs de stabilité dans le cadre de simplifications moins draconiennes seront développés. Les calculs de stabilité en trois dimensions devront également être étendus pour prendre en compte la température et la salinité, ainsi que des géométries complexes.

Finalement, les modes ainsi documentés par simulations numériques ou calculs de stabilité seront comparés aux observations afin de déterminer si le mode thermohalin peut expliquer une partie de la variabilité observée dans l'Atlantique Nord.

Études des modes liés aux interactions avec le vent et la glace

De nombreux mécanismes de variabilité faisant intervenir les interactions de l'océan avec le vent ou la glace ont été proposés dans la littérature, soit conceptuels, soit dans des modèles. Deux types d'interactions nous intéressent tout particulièrement pour leur rôle potentiel dans la variabilité de l'Atlantique Nord, l'influence réciproque du vent et des tourbillons océaniques (subtropical ou subpolaire) et les interactions océan-vent-glace de mer dans la mer du Groenland, que plusieurs auteurs ont mentionnées comme initiateur potentiel de variabilité dans tout l'Atlantique Nord.

On s'attachera d'abord à reproduire les mécanismes conceptuels dans des modèles simplifiés, puis à les étendre à des configurations plus réalistes, le but étant de documenter la signature de ces modes pour pouvoir la comparer aux observations. À cette fin, une paramétrisation des vents basée sur le transport de quantité de mouvement par instabilité barocline (Green 1970) est en cours de développement pour le modèle atmosphérique simplifié mentionné précédemment. Couplé à un modèle océanique à une couche, ce type de modèle génère des oscillations décennales (Cessi 1999), sans que le mécanisme soit encore trés clair. Néanmoins, ce mécanisme pourrait s'appliquer au type de variabilité décrit par Latif et Barnett (1994).

Finalement, en collaboration avec des spécialistes de la modélisation de la glace de mer, on cherchera à déterminer l'influence de la glace sur la stabilité et la variabilité de la circulation océanique (Lohmann et Gerdes 1998). Principalement on comparera la variabilité des modèles océan-atmosphère simplifiés incluant ou n'incluant pas la glace de mer, et on essaiera de rationnaliser ces résultats de manière conceptuelle.

Moyens

1 chercheur CNRS à 70%
(éventuellement étudiant de DEA et/ou thèse)

Moyens demandés :
- frais de déplacements pour les réunions du groupe, 3 par ans, soit environ 8000 FF
- matériel spécifique pour les calculs de stabilité linéaire qui requièrent énormément de mémoire (PC Pentium III 2 processeurs 600 MHz 512 Mo, équipé de Matlab, environ 22 000 FF)

Collaborations

Références

Cessi, P., 1998: Thermal feedback on wind-stress as a contributing cause of climate variability. soumis à J. Climate.
Colin de Verdière, A., and T. Huck, 1999: Baroclinic instability: an oceanic wavemaker for interdecadal variability. J. Phys. Oceanogr., 29, 893-910.
Colin de Verdière, A., and T. Huck, 2000: A two degree of freedom dynamical system for interdecadal oscillations of the ocean-atmosphere. soumis à J. Climate.
Cushman-Roisin, B., 1986: Frontal geostrophic dynamics. J. Phys. Oceanogr., 16, 132-143.
Delworth, T., S. Manabe, and R. J. Stouffer, 1997: Multidecadal climate variability in the Greenland Sea and surrounding regions: a coupled model simulation. Geophys. Res. Let., 24, 257-260.
Gallego, B., and P. Cessi, 1999: Exchange of heat and momentum between the atmosphere and the ocean: a minimal model of decadal oscillations. soumis à Clim. Dyn..
Gill, A. E., J. S. A. Green, and A. J. Simmons, 1974: Energy partition in the large-scale ocean circulation and the production of mid-ocean eddies. Deep Sea Res., 21, 499-528.
Greatbatch, R. J., K. A. Peterson, and H. Roth, 1997: Interdecadal variability in a coarse resolution model with North Atlantic bottom topography. Technical Report, Department of Oceanography, Dalhousie University, Halifax, Nova Scotia, Canada.
Green, J. S. A., 1970: Transfer properties of the large-scale eddies and the general circulation of the atmosphere. Quart. J. Royal Met. Soc., 96, 157-185.
Huck, T., A. J. Weaver, and A. Colin de Verdière, 1999a: On the influence of the parameterization of lateral boundary layers on the thermohaline circulation in coarse-resolution ocean models. J. Mar. Res., 57, 387-426.
Huck, T., A. Colin de Verdière, and A. J. Weaver, 1999b: Interdecadal variability of the thermohaline circulation in box-ocean models forced by fixed surface fluxes. J. Phys. Oceanogr., 29, 865-892.
Huck, T., G. K. Vallis, and A. Colin de Verdière, 2000: On the robustness of the interdecadal modes of the thermohaline circulation. soumis à J. Climate.
Latif, M., and T. P. Barnett, 1994: Causes of decadal climate variability over the North Pacific and North America. Science, 266, 634-637.
Lohmann, G., and R. Gerdes, 1998: Sea ice effects on the sensititvity of the thermohaline circulation. J. Climate, 11, 2789-2803.
Pacanowski, R. C., and S. M. Griffies, 1998: MOM 3.0 manual. NOAA / Geophysical Fluid Dynamic Laboratory, Princeton, NJ, 600pp.
Seager, R., M. B. Blumenthal, and Y. Kushnir, 1995: An advective atmospheric mixed layer model for ocean modeling purposes: Global simulation of surface heat fluxes. J. Climate, 8, 1951-1964.
Smith, K. S., and G. K. Vallis, 1999: Linear baroclinic instability in extended regime geostrophic models. J. Atmos. Sci., 56, 1579-1593.

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Variabilité climatique engendrée par la circulation océanique

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The translation was initiated by Thierry Huck on 1999-10-20


Thierry Huck
1999-10-20