Cours ISEB : Océanographie - Environnement 3. Forces et Contraintes Agissant sur l'Océan
Forces et Contraintes Agissant sur l'Océan
A) Équilibre radiatif terrestre
1. Énergie solaire
La source primaire d'énergie est le soleil qui rayonne dans toutes les directions un flux considérable de lumière visible et proche infrarouge.
La Terre reçoit une part infime de cette énergie en provenance du soleil qui équivaut tout de même à une puissance de 175 000 millions de mégawatts, c'est à dire 10 000 fois la production mondiale actuelle de chaleur et d'électricité combinées (une grosse centrale électrique atomique a une production de l'ordre de quelques milliers de mégawatts).
La lumière du soleil est utilisée principalement sous forme de chaleur puis convertie en énergie mécanique comme dans un moteur alimenté par la combustion d'un carburant. Une petite partie de cette lumière est utilisée directement pour des transformations biologiques par photosynthèse.
Le spectre de l'énergie solaire s'étend de 0.2 à 4 mm. Environ 40% de cette énergie est située dans le spectre visible, c'est à dire dans la gamme 0.4 - 0.67 mm. Le flux d'énergie So envoyé par le soleil est environ de:
So = 1.368 à 1.376 W m-2
So est appelé constante solaire et représente l'énergie radiative reçue par un disque de 1 m2 situé au sommet de l'atmosphère et orienté perpendiculairement à l'axe joignant le centre du disque au centre du soleil. Un tel disque de 1 m2 reçoit donc assez d'énergie pour alimenter en permanence un radiateur électrique de 1 kW !
L'énergie totale reçue par la Terre vaut So multiplié par la surface apparente de notre planète soit:
QT = p R2 So
où R est le rayon terrestre.
La surface de la Terre étant de 4 p R2, l'énergie moyenne reçue par unité de surface (flux solaire moyen) est de:
IS = (p R2 So) / (4 p R2) = So / 4 = 344 W m-2
(calculs faits avec une aire d'interception apparente égale à ? R2 et une aire réelle de 4 ? R2).
Si l'axe de rotation de la Terre n'était pas incliné sur le plan de l'écliptique, le flux moyen reçu aux pôles serait 0, et celui reçu sur la bande équatoriale serait de:
IQ = (2 R So) / (2 p R) = So / ? = 435 W m-2
(calculs faits avec une aire d'interception apparente égale à 2 R dy et une aire réelle de 2 ? R d).
On voit donc apparaître une variation de l'énergie solaire reçue par la Terre en fonction de la latitude. L'inclinaison sur le plan de l'écliptique réduit légèrement la dépendance du flux solaire reçu par unité de surface terrestre en fonction de la latitude.
2. Albédo
Toute l'énergie solaire n'est pas absorbée par la Terre; une partie est réfléchie vers l'espace (Fig. 1). Le flux moyen absorbé I est donc différent de IS. On a pour le flux absorbé:
I = IS (1 - a)
a est l'albédo de la Terre et représente le pourcentage d'énergie solaire réfléchie vers l'espace (a = 0 s'il n'y a aucune réflexion; a = 1 s'il y a réflexion totale).
La valeur moyenne pour l'atmosphère terrestre de a est de 0.3 si bien que l'on a:
I = 240 W m-2
Environ 100 W m-2 sont donc réfléchis vers l'espace avant d'atteindre la surface de la Terre.
Note: L'albédo est très sensible aux nuages et joue un rôle considérable dans l'équilibre radiatif de la Terre.
L'albédo de la mer est peu élevé (à la différence de la neige ou de la glace). La valeur moyenne est de l'ordre de quelques % (Fig. 2). Il est fonction de la hauteur du soleil, de l'état de la mer, de la qualité de l'eau. L'essentiel du rayonnement pénètre dans la mer où il est absorbé et contribue au chauffage des couches marines.
L'absorption de l'énergie solaire dépend fortement de la teneur en particules des couches marines. Elle se fait sélectivement selon la longueur d'onde. Pour de l'eau pure, les radiations rouges sont absorbées très rapidement (sur quelques mètres); les radiations bleues jaunes (aux alentours de 43 nm) sont celles qui pénètrent le plus profondément. Si bien que lorsque l'on s'enfonce dans la mer la couleur a tendance à virer au bleu-vert.
On considère que 80% de l'énergie solaire est absorbée dans les 10 premiers mètres.
3. Rayonnement thermique
L'agitation thermique des atomes ou molécules de la matière produit des rayons électromagnétiques. Les caractéristiques de ce rayonnement (luminance énergétique, spectre en fréquences) dépendent de la température du milieu.
Pour définir, puis préciser cette interaction entre matière et rayonnement, considérons le cas d'un corps "noir", c'est-à-dire un corps qui se trouve en équilibre thermodynamique avec le rayonnement.
Pour un tel corps noir:
- l'énergie totale E du rayonnement est proportionnelle à la puissance quatrième de la température absolue T (Loi de Stefan-Boltzman)
E = s T4
où s désigne la constante de Stefan-Boltzman; s = 5.67 x 10-8 W m-2 K-4
- le rayonnement émis est maximal pour une valeur de la longueur d'onde inversement proportionnelle à la température (Fig. 3): un rayonnement plus "chaud" est émis à longueur d'onde plus courte (loi de déplacement de Wien).
lm = 2898 / T où lm est exprimé en mm.
Si nous comparons la répartition spectrale du rayonnement émis par un corps à 6000 K (soleil) et par un corps à 288 K (Terre), nous constatons qu'il n'y a pas de recouvrement important entre ces deux domaines spectraux (respectivement 0.5 et 10 mm)
Il sera possible de séparer le domaine du rayonnement solaire (souvent appelé "courtes" longueurs d'ondes) qui est situé dans l'ultraviolet, le visible et le proche infrarouge, du rayonnement terrestre (souvent appelé "grandes" longueurs d'ondes, ou par abus de langage, rayonnement infrarouge) qui est situé dans l'infrarouge plus lointain.
4. Équilibre radiatif de la Terre
Des considérations intégrales simples peuvent être très utiles pour comprendre les mécanismes responsables du climat. En supposant, en première approximation, la température moyenne annuelle de la Terre constante, le bilan radiatif de la Terre doit être nul. Il faut donc que le rayonnement moyen absorbé par la Terre soit égal au rayonnement thermique de la Terre. Le rayonnement de la Terre E est donné par la loi de Stefan qui s'écrit:
E = e s T4
e est l'émissivité de la Terre, valeur voisine de 1 (on a "presque" un corps noir), et s est la constante de Stefan-Boltzman, égale à 5.67 10-8 W m-2 K-4.
Ce rayonnement doit équilibrer le rayonnement moyen absorbé par la Terre I:
E = e s T4 = I = IS(1 - a) = 240 W m-2
On a donc:
T4 = I / e s ce qui donne T = 255 K.
Cette température est bien plus faible que la température moyenne de la surface de la Terre Tm qui vaut 288 K. La température T est observée dans l'atmosphère à une hauteur de 5 km environ. La différence donne une idée de l'influence de l'océan et de l'atmosphère (par leur capacité à stocker l'énergie) et de l'effet de serre atmosphérique. On a T - Tm = 32°.
5. Effet de serre
On peut évaluer schématiquement l'effet de serre en supposant qu'une couche nuageuse, insensible au rayonnement ondes courtes incident I (240 W m-2) mais sensible au rayonnement ondes courtes réémis, vient s'intercaler entre le sommet de l'atmosphère et la surface terrestre.
En notant E le rayonnement ondes longues émis par la surface terrestre, g la fraction du rayonnement ondes longues ascendant absorbé par la couche nuageuse (et contribuant à élever sa température) et En le rayonnement ondes longues émis dans toutes les directions par la couche nuageuse, une analyse de flux au dessus et au dessous de cette couche (Fig. 4) conduit aux équations:
I = (1 - g) E + En
I + En = E
On en déduit:
E = 2 I / (2 - g)
En = g I / (2 - g) = g E / 2
La loi de Stefan appliqué à la surface de la Terre et à la couche nuageuse donne:
E = e s T4
En = en s Tn4
On obtient ainsi:
T = { 2 I / [(2 - g) e s] }1/4
Tn = { g I / [(2 - g) en s] }1/4
En utilisant e ? en ? 1, pour g = 0 on retrouve bien sûr T = 255 K.
Pour une absorption maximale, g = 1 et il vient: T = 303 K (30°C) et Tn = 255 K.
B) Les échanges océan-atmosphère
1. Données numériques utiles
L'atmosphère est quasiment transparente au rayonnement solaire. Ce n'est pas du tout le cas de l'océan où le rayonnement solaire pénètre peu. La discontinuité des propriétés optiques est très forte à l'interface entre les deux fluides et l'océan absorbe le rayonnement solaire très rapidement: 80% de l'énergie solaire pénétrante est absorbée dans les premiers 10 m.
L'absorption du rayonnement solaire est très stabilisant dans l'océan (les eaux les moins denses se trouvent à la surface) alors qu'il engendre la convection dans l'atmosphère (chauffée à sa base).
La masse volumique de l'eau de mer (r0 1035 kg/m3) est près de 900 fois plus forte que celle de l'air (1.2 kg/m3). L'interface air / océan est extrêmement stable car la force gravitationnelle tend à maintenir l'horizontalité de la surface océanique. Les déplacements de la surface de l'océan atteignent typiquement l'ordre du mètre et les transferts se font à travers une interface bien définie.
r0 = 1025 kg/m3
ra = 1.2 kg/m3
La masse de l'océan est 270 fois plus grande que celle de l'atmosphère. Le poids de la colonne d'air est en moyenne de 104 kg/m2, ce qui fait que la pression de surface au niveau de l'océan est de l'ordre de 1 bar soit 105 Pa alors que dans l'océan la pression augmente de 1 bar tous les 10 mètres.
M0 = 270 Ma
pa = 1 bar = 1.013 105 Pascal, équivalent à la pression exercée par 10 m d'eau
La capacité calorifique de l'océan est très grande. Par unité de masse, la chaleur spécifique de l'eau (cpo) est 4 fois plus importante que celle de l'air (cpa): l'océan a une capacité thermique 270 ´ 4 = 1080 fois plus forte que celle de l'atmosphère, ce qui fait que les 2.5 premiers mètres de l'océan absorbent autant de chaleur que la totalité de la colonne d'air située à sa verticale.
cpo = 4218 J kg-1 K-1
cpa = 1004 J kg-1 K-1
La quantité de chaleur, stockée sous forme latente dans l'océan, est énorme. L'évaporation de 4 mm dans les tropiques correspond à une augmentation de température de 1°C de l'atmosphère ou à la fonte de 30 mm de glace.
E (1°C ´ colonne air) = E (1°C ´ 2.5 m d'océan)
= E (4 mm d'évaporation)
= E (30 mm de fonte de glace)
L'énergie thermique de l'océan est considérable. Considérons la masse d'un volume élémentaire d'eau de 1 m3 soumise pendant un jour à un refroidissement de 400 W m-2. Au bout d'une journée (105 s) l'océan aura perdu 400 105 joules. Le volume élémentaire de 1 m3 verra donc sa température baisser de 10 degrés Celsius (ou de 1 °C si l'on considère une colonne d'eau de 10 m de profondeur et de section de 1 m2).
Si pendant le même temps sous les vents violents qui ont déclenché ce refroidissement (évaporation + chaleur sensible) le volume élémentaire d'eau a acquis une vitesse de 1 m s-1, il a alors acquis une énergie cinétique (1/2 m v2) correspondant à 500 joules. Le rapport entre énergie thermique et énergie mécanique est donc de 2 104 ce qui est énorme. Ainsi, par sa masse et par son stockage de chaleur, l'océan joue un rôle fondamental dans les variations à long terme et principalement, dans l'évolution du climat.
2. Échanges de quantité de mouvement
Les observations directes de vent (anémomètres), la connaissance des dérives de bateaux marchands, et plus récemment les diffusiomètres embarqués sur satellite permettent d'avoir une vue cohérente des tensions exercées par l'atmosphère sur la surface de l'océan (Fig. 5).
En moyenne zonale, l'océan subit des vents d'est entre 30°N et 30°S, avec un minimum au nord de l'équateur, et des vents d'ouest aux latitudes tempérées. Cette distribution globale entraîne la circulation des grandes "gyres" (cellules de circulation) océaniques (Fig. 6).
Les vents sont le résultat du forçage radiatif dans l'atmosphère. Ils exercent une tension à la surface de l'océan et transfèrent de la quantité de mouvement dans l'océan en entraînant la circulation océanique de surface (Fig. 7).
Le transfert de quantité de mouvement dépend du vent (Va), de la masse volumique de l'air (ra). Son expression dimensionnelle fait apparaître une vitesse de frottement u* à déterminer:
t = ra u*2
Il est possible de relier cette vitesse de frottement à la vitesse réelle du vent à une élévation donnée (le plus souvent 10 m) et décrire ainsi pour le module et la direction de la tension de vent:
t = ra Cd |Va| Va
avec ra = 1.2 kg/m3.
Le facteur Cd est appelé coefficient de frottement et dépend de la rugosité de la surface marine et de la stabilité de la couche limite atmosphérique. L'ordre de grandeur de ce coefficient est de 1.2 10-3 mais ses variations peuvent être importantes et la quantification exacte des échanges de quantité de mouvement entre océan et atmosphère fait l'objet de recherches très actives.
Note: la relation précédente est écrite pour une vitesse du vent est un coefficient de frottement référencés à une élévation donnée (le plus souvent 10 mètres): Cd º Cd(10 m) et Va º U(10 m).
Deux hypothèses sont utilisées pour l'évaluation empirique du coefficient de frottement Cd dans des conditions de stabilité neutre de l'atmosphère.
On suppose tout d'abord que le profil vertical du vent est logarithmique:
U(z) = u* Log | z / z0 | / k (1)
où U est la vitesse du vent mesurée à l'élévation z (par exemple à 10 mètres), u* est la vitesse de frottement précédemment introduite, z0 l'échelle verticale de rugosité associée à la surface océanique considérée et k est la constante de Von Karman (k = 0.4). Cette hypothèse de profil logarithmique découle naturellement de travaux théoriques réalisés en turbulence.
La vitesse de frottement u*, toujours dans des conditions neutres, est une constante (dans la couche logarithmique) et est donc associée au coefficient de frottement par:
u*2 = Cdn(z) U(z)2 (2)
où Cdn(z) est donc référencé au même niveau que U(z).
Remarque: le module de la tension de vent vérifie donc la relation:
t = ra u*2 = ra Cdn(z) U(z)2 (3)
La combinaison des équations (1) et (2) permet d'exprimer le coefficient de frottement au niveau z en fonction de z et de l'échelle de rugosité z0:
Cdn(z) = k2 / Log2 | z / z0 | (4)
La deuxième hypothèse concerne l'expression utilisée pour l'échelle de rugosité z0. Une expression classique combine les cas rugueux (avec importance de l'accélération de gravité, g, dans l'équilibre de la surface océanique) et lisse (prise en compte de la viscosité dynamique de l'air, n):
z0 = a u*2 / g + 0.11 n / u* (5)
avec a = 0.01.
En combinant les équations (1) et (5), on obtient une relation liant la vitesse du vent mesurée (élévation z) à la vitesse de frottement (et à z):
k U(z) = u* { Log z - Log (a u*2 / g + 0.11 n / u*) } (6)
C'est cette dernière expression qui est utilisée dans la pratique:
- on dispose d'une mesure de vent à un niveau z: U(z),
- on résout numériquement (6) pour obtenir la vitesse de frottement u*,
- on injecte u* dans (5) pour diagnostiquer l'échelle de rugosité,
- on calcule le coefficient de frottement au même niveau z (ou à tout autre niveau, classiquement à 10 mètres) en utilisant (4).
Il est en suite nécessaire de corriger le coefficient calculé des effets de stabilité (ou d'instabilité) de l'atmosphère: des tables adéquates permettent cette correction moyennant la connaissance par exemple de la différence de température entre l'air et la mer.
Remarque: en toute première approximation on choisit usuellement Cd = 1.4 10-3.
3. Flux de chaleur turbulents
L'existence d'une tension de vent entre l'océan et l'atmosphère permet des échanges de type turbulent entre l'océan et l'atmosphère: un flux turbulent de chaleur sensible, et un flux turbulent d'évaporation qui se traduit par un dégagement de chaleur latente.
Ces flux sont difficiles à modéliser. Ils mettent en jeu des mécanismes d'interface complexes où interviennent des transferts turbulents. Une première approche est de les paramétrer à partir de formules dites intégrales (bulk formulae).
Le flux de chaleur sensible correspond à un échange de chaleur direct entre l'océan et l'atmosphère. Il est proportionnel à la différence de température entre les deux milieux et à l'intensité du vent:
QS = ra Cpa Cd |Va| (To - Ta)
où Cpa désigne la chaleur spécifique de l'air (Cpa = 1004 J kg-1 K-1).
Le flux de chaleur latente dépend de la différence entre l'humidité spécifique de l'air et l'humidité spécifique à la surface de l'océan, ainsi que du vent:
QL = ra Cd |Va| LE [qsat(To) - qa]
où LE désigne la chaleur latente de vaporisation de l'eau (LE = 2.5 106 J / kg), qsat désigne l'humidité spécifique (masse de vapeur d'eau par unité de masse d'air) de l'air saturé à la température de surface de l'océan et s'exprime en fonction de la pression de vapeur saturante:
qsat (To) = 0.622 esat (To) / Pa
où Pa est la pression atmosphérique (Pa = 1.013 105 Pa), qa est l'humidité spécifique de l'air à la température Ta, reliée à l'humidité spécifique de la vapeur saturante par le rapport de mélange de l'air via une humidité relative (r = 0.8):
qa = r qsat (Ta)
La formule intégrée de Clausius-Clapeyron donne la tension de vapeur saturante en fonction de la température:
esat (T) = 10 (9.4051 - 2353 / T)
où T est exprimée en Kelvin.
Flux de chaleur latente et flux de chaleur sensible sont très dépendants des conditions d'interface entre l'océan et l'atmosphère et présentent une grande variabilité spatio-temporelle. Le coefficient de frottement dépend ainsi des conditions de stabilité qui prévalent dans la basse atmosphère.
4. Bilan thermique à la surface de l'océan
La somme des quatre flux Q correspond à l'énergie thermique échangée entre l'océan et l'atmosphère.
Q = I - E - QS - QL
I représente le flux solaire absorbé à la surface des océans,
E représente le bilan des flux thermiques de grande longueur d'onde à la surface des océans.
Le bilan est nettement positif en zone tropicale (tout en présentant une forte différenciation entre les bords est et ouest des océans) - c'est-à-dire que l'océan tropical reçoit de l'énergie de la part de l'atmosphère - et devient négatif aux latitudes tempérées et polaires - c'est-à-dire que l'océan rend de la chaleur dans ces régions (Fig. 8). Là également une forte disparité existe entre les régions et les saisons: les échanges les plus actifs se font pendant la saison hivernale, le long des bords ouest, et dans les régions de limite de glace.
Il est possible d'analyser individuellement les quatre composantes du flux de chaleur, en région tropicale (Fig. 9), et de vérifier que le flux de chaleur sensible est petit devant les autres, et que la variabilité spatiale est surtout donnée par le flux de chaleur latente qui est une fonction de la température de surface de l'océan (Fig. 10).
5. Bilan hydrique
La masse d'eau fraîche dans l'océan varie comme la quantité (P - E + R) où P désigne les précipitations, E l'évaporation et R les apports fluviaux. L'évaporation est directement liée au flux de chaleur latente décrit ci-dessus.
Les apports fluviaux peuvent jouer un rôle local important, mais l'apport principal d'eau douce provient des précipitations, dont la structure est très hétérogène.
En moyenne zonale, le transport d'eau fraîche dans les océans traduit globalement de fortes précipitations en zone de convergence équatoriale et aux latitudes tempérées et subpolaires et une forte évaporation en zone subtropicale (Fig. 11): il est donc dirigé vers les pôles entre l'équateur et 20-30° puis s'inverse.
Si la variation de la masse globale n'est pas très importante pour l'océan, en revanche les fortes modifications en salinité qui en découlent ont un impact dynamique important.
6. Flux de densité
Le flux de densité B apparaissant en surface (buoyancy flux en anglais) qui représente une variation de poids par unité de colonne provient à la fois du budget radiatif de l'océan, de l'évaporation et des précipitations (et du ruissellement). On a:
B = g {a Q / (r? Cp) + b S (E - P)}
où
a = r?-1 ?r/?T , b = r?-1 ?r/?S et r ? r? (1 + a T + b S)
Le deuxième terme de l'équation représente un effet dû à la salinité. En ce qui concerne l'effet de l'évaporation seule, le poids de l'eau augmente quatre fois plus par perte de chaleur (refroidissement) que par accroissement de densité (salinisation).
Considérons en effet un élément de volume dx dy dz au voisinage de la surface, de température T (en degrés Celsius) et de salinité S (en g/kg), soumis à son contact avec l'atmosphère au flux de chaleur Q (compté positif vers le bas, exprimé en W/m2) et au bilan hydrique E - P, pendant un intervalle de temps dt.
L'élévation de température qui en résulte (en supposant que le volume d'eau considéré reste homogène, et isolé du reste de l'océan) vaut dT, avec:
(dx dy) Q dt = (dx dy dz) r? Cp dT
et donc:
dT/dt = (r? Cp)-1 Q / dz
où la quantité (r? Cp)-1 Q définit un flux de température.
La variation de salinité associée se calcule en faisant l'hypothèse que la quantité totale de sel considérée est conservée:
(dx dy dz) r? S = [dx dy dz + dx dy (P - E) dt ] r? (S + dS)
dS [dx dy dz + dx dy (P - E) dt] = - dx dy (P - E) dt S
or il est légitime de négliger l'accroissement du volume devant le volume de départ, et il vient donc:
dS/dt = (E - P) S / dz
où la quantité (E - P) S définit un flux de salinité
On en déduit l'accroissement de masse volumique:
dr/dt = r? [a (r? Cp)-1 Q + b (E - P) S] / dz
La quantité r? [a (r? Cp)-1 Q + b (E - P) S] équivaut à un flux de masse volumique. Le flux de flottabilité associé est obtenu par multiplication par l'accélération de gravité.
C) Transports de chaleur par l'océan
1. Nécessité de l'existence de tels transports
L'étude du bilan radiatif de la Terre comme l'étude du bilan thermique net à la surface de l'océan montrent un déséquilibre important, en moyenne annuelle, qui doit être compensé par un transport de chaleur effectué par la circulation océanique: la planète et l'océan reçoivent tous deux plus d'énergie à l'équateur qu'aux pôles.
Il y a transport d'énergie des régions qui reçoivent un surplus d'énergie (régions équatoriales) vers les régions qui ont des déficits d'énergie (régions de hautes latitudes) (Fig. 12).
Ce transport d'énergie est réalisé à la fois par l'océan et l'atmosphère dans des proportions approximativement égales.
Pour calculer le transport océanique F0, on peut envisager plusieurs méthodes (Fig. 13):
- Estimation directe à partir des mesures océaniques,
- Méthode du transport résiduel,
- Équilibre des flux de surface océaniques.
2. Une estimation directe
Considérons une section océanique, de la surface au fond, le long d'un parallèle. Le transport de chaleur (ou flux de chaleur) à travers cette section peut être calculé de la manière suivante:
Fo = òò r Cp q v dz dx
où Cp est la chaleur spécifique de l'eau, q est la température potentielle de l'eau (température où les effets adiabatiques de pression sont pris en compte), v la vitesse (positive vers le nord) de l'eau, dz positif selon la verticale ascendante, dx positif de l'ouest vers l'est.
Ce calcul a un sens sur une section où le flux de masse est nul. Cette contrainte s'exprime par:
M = òò r v dz dx
La détermination du transport de chaleur au sein des océans passe par la connaissance du champ de vitesse et de température dans les océans. Or, ces estimations ne sont disponibles que sur certaines sections océaniques.
3. Une estimation indirecte
Cette méthode est souvent préférée à la précédente car elle donne une détermination indirecte des flux.
Considérons une tranche océanique (épaisseur H(y), longueur L(y), largeur dy) allant de l'interface océan-atmosphère au fond des océans. Le bilan thermique de cette colonne s'écrit:
Q dy L(y) = So + dFo
où Q représente le flux net à la surface de l'océan, intégré sur la section, So le stockage thermique dans la tranche océanique, Fo le transport méridien de chaleur dans l'océan.
En moyenne annuelle les termes de stockage sont nuls. On a donc:
Q L(y) = dFo/dy
ce qui permet d'obtenir Fo en intégrant la formule ci-dessus de boîte en boîte en partant par exemple du pôle Nord où le flux est nul vers le sud.
Cette méthode permet de calculer le transport océanique à partir de la seule connaissance du bilan net en surface. Il est obtenu par compilation des données recueillies par navire marchand ou lors de campagnes de mesure, et en appliquant les formules intégrales pour les flux de chaleur sensible et latente. Cependant, ceux-ci contiennent de grandes incertitudes.
4. Méthode du transport résiduel
Considérons une colonne atmosphère + océan allant du sommet de l'atmosphère au fond des océans. Le bilan thermique de cette colonne s'écrit:
où I représente le flux solaire au sommet de l'atmosphère intégré sur la tranche; Eout le flux montant au sommet de l'atmosphère intégré sur la tranche; Sa le stockage thermique dans la tranche atmosphérique, So le stockage thermique dans la tranche océanique, Sc le stockage thermique dans les continents, Sg le stockage thermique dans la glace, Fa le transport méridien de chaleur dans l'atmosphère, Fo le transport méridien de chaleur dans l'océan.
En moyenne annuelle les termes de stockage sont nuls. On a donc:
La méthode du transport résiduel calcule le transport océanique comme étant la différence du bilan radiatif net au sommet de l'atmosphère et du transport atmosphérique:
Ceci demande la détermination de , qui peut être faite par satellite et de Fa. C'est en fait une méthode très utilisée par déterminer le transport océanique et de bonne précision.
D) Rappels de cinématique
1. Dérivée totale
Soit une particule repérée par ses coordonnées: x, y , z, t et une propriété q:
q = q (x, y, z, t) = q (x (t), t)
où x = (x, y, z) = x (t)
Le taux de changement de la propriété q le long du mouvement de la particule est donné par:
dq/dt = ?q/?t + ?q/?x dx/dt + ?q/?y dy/dt + ?q/?z dz/dt
dq/dt = ?q/?t + dx/dt×Ñq
dx/dt correspond au changement de position de la particule dans son mouvement; c'est sa vitesse:
dx/dt = u = (u, v, w)
On définit donc la dérivée totale comme:
dq/dt = ?q/?t + u ?q/?x + v ?q/?y+ w ?q/?z = ?q/?t + u×Ñq
2. Conservation de la masse
Quand un élément matériel se déplace, sa masse est conservée mais son volume se déforme sous l'effet du champ de mouvement. Considérons un petit élément de volume (dV = dx dy dz) qui se déplace d'un point A vers un point B. Sa variation relative de volume s'écrit comme:
1/dV d(dV)/dt = 1/(dx dy dz) d(dx dy dz)/dt
1/dV d(dV)/dt = 1/dx d(dx)/dt + 1/dy d(dy)/dt + 1/dy d(dy)/dt
Le premier terme donne:
1/dx d(dx)/dt = 1/dx d[x(B) - x(A)]/dt = 1/dx [u(B) - u(A)]
limdx -> 0 1/dx d(dx)/dt = ?u/?x
Procédant de la même manière pour les trois directions, on trouve alors:
1/dV d(dV)/dt =Ñ×u = ?u/?x + ?v/?y + ?w/?z
En écrivant cette équation en fonction de la masse volumique:
dr/dt = d(dm/dV)/dt = dm d(1/dV)/dt = dm (-1/dV2) d(dV)/dt
dr/dt = - (dm/dV) Ñ×u = - r Ñ×u
dr/dt + r Ñ×u = 0
Cette équation est fondamentale en mécanique des fluides. Elle peut également s'écrire:
?r/?t +Ñ×(r u) = 0
Le raisonnement précédent peut en fait s'étendre à toute propriété scalaire de l'écoulement.
3. Notion de repère et accélération
Considérons d'une part le repère absolu, de centre 0, et d'autre part le repère relatif, tournant à la vitesse constante de rotation W de même centre.
On rappelle que pour un vecteur donné B, on a la relation:
(dB/dt)a = (dB/dt)r + W ´ B.
Dans le repère absolu, un point M est défini par sa position x.
On a donc:
(dx/dt)a = (dx/dt)r + W ´ x
soit:
ua = ur + W ´ x
On peut écrire une relation similaire pour la vitesse dans le repère absolu:
(dua/dt)a = (dua/dt)r + W ´ ua
En remplaçant ua par son expression, on obtient:
(dua/dt)a = (d[ur + W ´ x]/dt)r + W ´ (ur + W ´ x)
(dua/dt)a = (dur/dt)r + W ´ (dx/dt)r + W ´ ur + W ´ (W ´ x)
(dua/dt)a = (dur/dt)r + 2 W ´ ur + W ´ (W ´ x)
(dua/dt)a = (dur/dt)r + 2 W ´ ur + Ñ×(1/2 W2 x 2)
Cette expression fait apparaître les termes complémentaires d'accélération (Fig. 10):
le terme 2 W ´ ur est proportionnel et orthogonal à la vitesse relative du fluide. C'est le terme d'accélération de Coriolis (donnant dans le repère relatif une force, égale à - 2 r W ´ ur).
Le second terme W ´ (W ´ x) est un terme d'accélération centripète. Il se met sous forme d'un gradient de scalaire, et est le plus souvent négligé devant (ou plutôt incorporé avec) les effets de la gravité.
4. Force de Coriolis
Dans le repère inertiel lié au centre de la Terre, la Terre est animée d'une rotation solide autour de l'axe des pôles. Soit W, cette vitesse de rotation angulaire. Chaque point de la surface terrestre immobile à la surface de la Terre a donc une vitesse d'entraînement vers l'est proportionnelle à sa distance à l'axe de rotation (Fig. 14):
|ue| = |W ´ xr| = |W| R cos f
où R désigne le rayon terrestre et f la latitude. Un point qui se déplace du pôle vers l'équateur aura une vitesse d'entraînement plus faible que son environnement: sa trajectoire semblera déviée vers l'ouest. Inversement, un point se dirigeant de l'équateur vers le pôle aura une vitesse d'entraînement supérieur au milieu ambiant et sa trajectoire sera déviée vers l'est.
Dans le repère local, en rotation avec la Terre, où est étudiée la circulation de l'océan, la rotation terrestre se traduit par une force complémentaire, dite de Coriolis, qui entraîne une rotation des mouvements vers leur droite dans l'hémisphère nord et vers leur gauche dans l'hémisphère sud.
5. Potentiel
Nous avons dit que les particules du fluide étaient soumises à une force de masse, dépendant d'un potentiel. Dans le repère relatif lié à la Terre en mouvement, le géopotentiel se compose de deux termes: du potentiel de gravité f? et du potentiel centrifuge. Il s'écrit sous la forme:
f = f? + 1/2 W? xr?
f n'intervient que par son gradient. Il n'est donc pas dépendant de l'origine du repère.
Dans les mouvements océaniques à grande échelle qui nous intéressent, le terme d'accélération gravitationnelle g (f?) domine devant tous les autres termes d'accélération.
6. Forces de pression
Toute particule reçoit du milieu ambiant une force de pression. Si la pression s'exerce de façon uniforme, aucune force ne s'exerce; en revanche, si une différence de pression existe, la particule va accélérer sous la force exercée par le gradient de pression.
A un même niveau, entre deux points voisins, la différence de pression va créer une force de gradient de pression qui va tendre à égaliser la pression entre les deux points en accélérant le fluide le plus dense vers le moins dense:
F = - 1/r Ñ p
E) Équations du mouvement
1. Bilan des accélérations pour une particule fluide:
- termes non-linéaires (d'advection): - (u×Ñ) u
- force de Coriolis (la Terre est en constante rotation par rapport un référentiel fixe): - 2 W ´ u
- forces de pression (dirigées des hautes vers les basses pressions, et où r0 désigne la masse volumique moyenne du fluide): - r0-1 Ñ p
- accélération de gravité (pour la composante verticale du mouvement): g
- friction.
2. Quelques hypothèses simplificatrices
On suppose que les approximations suivantes (réalistes) sont satisfaites:
- fluide incompressible (filtrage des ondes sonores notamment), hypothèse cs2 = ?P/?r = ¥
- hypothèse de la "couche mince fluide" (on néglige certains termes de sphéricité),
- hydrostatisme,
- hypothèse de Boussinesq (les effets de variation de masse volumique ne sont retenus que dans l'équation hydrostatique; partout ailleurs on choisit r = r0).
3. Système d'équations
Pour le mouvement horizontal,
du/dt = ?u/?t + (u×Ñ) u = - 2 W x u - r0-1 Ñ p + friction
Sur la verticale, l'approximation hydrostatique conduit à:
dp = -r g dz
Du fait de la conservation de la masse, la vitesse du fluide est à divergence nulle et la densité est conservée le long du mouvement (aux termes dissipatifs près).
En effet on sait que la masse volumique dépend de la température, de la salinité et de la pression:
r = r (T, S, P)
On écrit donc:
(1/r) dr/dt = (1/r) ?r/?T dT/dt + (1/r) ?r/?S dS/dt + (1/r) ?r/?P dP/dt
En l'absence de puits ou sources, la température et la salinité sont conservées le long du mouvement:`
(1/r) dr/dt = (1/r) ?r/?P dP/dt = (1/r) (1/cs2) dP/dt
Avec l'hypothèse d'incompressibilité, ?r/?p = 1/cs2 = 0, et donc dr/dt = 0.
On utilise alors la relation de conservation de la masse: dr/dt + r Ñ×u = 0
et il vient:
div u = ?u/?x + ?v/?y + ?w/?z = 0
dr/dt = ?r/?t + (u.Ñ) r = 0
Les équations pour les traceurs température et salinité s'écrivent:
dq/dt = diffusion + ?I/?z + rayonnement "non solaire" en surface,
dS/dt = diffusion + bilan "E-P" en surface.
Légende des Figures
Figure 1
Équilibre radiatif pour l'atmosphère.
Figure 2
Albédo moyen à la surface de la Terre, estimé à partir de données satellite.
Figure 3
Puissance émise par unité de surface et par unité de longueur d'onde.
Figure 4
Approche schématique de l'effet de serre. La couche nuageuse est transparente aux flux total incident I (ondes courtes). Elle est par contre chauffée par une fraction g du rayonnement infrarouge émis par la surface, E, et émet à son tour dans l'infrarouge, En.
Figure 5
Champ de tension de vent en moyenne annuelle pour les mois de janvier et juillet. L'unité adoptée est le dyn/cm2 (soit 0.1 Pa).
Figure 6
Moyenne de la tension de vent zonale à la surface de l'océan, en fonction de la latitude. L'échelle verticale est dilatée de manière à ce que des surfaces égales correspondent à des échanges de quantité de mouvement équivalents.
Figure 7
Courants hivernaux à la surface de l'océan. Les flèches en pointillés correspondent aux courants froids.
Figure 8
Bilan net de chaleur reçu par l'océan, en moyenne annuelle (en W/m2).
Figure 9
Les quatre composantes du bilan de chaleur à la surface océanique en région tropicale Atlantique. De haut en bas sont représentés avec un intervalle de contour de 10 W/m2 (valeurs négatives en grisé): le flux solaire, le rayonnement ondes longues, le flux de chaleur latente, le flux de chaleur sensible et le bilan net de chaleur. On note que les océans tropicaux, bien que chauds, constituent un puits pour la chaleur atmosphérique.
Figure 10
Température de surface de la mer observée dans l'Atlantique tropical en moyenne annuelle.
Figure 11
Bilan "évaporation - précipitation" en moyenne annuelle et zonale, en fonction de la latitude.
Figure 12
Transports méridiens de chaleur océanique, atmosphérique et total, en fonction de la latitude.
Figure 13
Trois méthodes distinctes pour évaluer le transport océanique à travers une surface donnée.
Figure 14
Force de Coriolis et force centrifuge associées au déplacement d'un point dans le référentiel de la Terre, en rotation (W) par rapport à un référentiel fixe. On peut noter que chacune des composantes de la vitesse (u, v et w) est susceptible de donner naissance individuellement à un effet de Coriolis.